samedi 20 décembre 2003

Au milieu des années 2050


Au milieu des années 2050, le problème du chômage devint à ce point crucial que le pouvoir en place craignit une révolution. L’industrialisation de la production et l’informatisation croissante avaient rendu la main d’œuvre de moins en moins nécessaire ; parallèlement, du fait des acquis sociaux, le coût de celle-ci avait augmenté de manière exponentielle, poussant les entreprises à délocaliser leurs usines. Les statistiques prouvaient que le prix des biens à la consommation s’élevait tandis que le revenu moyen des ménages diminuait. Le nombre de personnes sans autre ressource que le Revenu Minimum d’Adaptation devenait inquiétant.
Dans le même temps, les personnes âgées se multipliaient. Depuis fort longtemps déjà, le gouvernement avait supprimé la redevance télévisuelle pour les personnes de plus de 70, puis 65, puis 60 ans, afin d’abêtir un maximum le 3ème âge devant la boite à images, l’empêchant de penser ; parallèlement bien sûr, les chaînes publiques se démenaient pour fournir du pain et des jeux, enfin surtout des jeux, qui eux pouvaient permettre à tous les vieillards de rêver qu’ils gagnaient de l’argent… Il n’y avait donc pas à craindre de rébellion de ce côté-là. Mais, grâce à la médecine moderne, il y avait bientôt eu un 4ème âge, puis un 5ème âge. Tous ces gens avaient besoin de soins ; il fallait créer des hôpitaux et pour cela prélever des impôts supplémentaires. Bien entendu, il y avait aussi des vieux riches, mais hélas, si peu…
La population active se plaignait de la lourdeur des impôts prélevés sur son travail et grondait.
Il était temps de trouver une idée.

L’Assemblée nationale délégua le problème au Gouvernement. Le Gouvernement réunît ses ministres en sessions ministérielles extraordinaires pour étudier la question. Pendant trois mois, le peuple put contempler in vivo ses représentants en plein travail et constata que l’aspirine ne pouvait, à lui seul, produire des idées. Le Gouvernement décida d’arrêter là les frais, le ridicule pouvant tuer, et mit en place, à l’insu de la presse, des Réunions Ultrasecrètes Soigneusement Elaborées (RUSE). Ce fut un échec tout aussi cuisant, mais invisible. Alors que tout espoir semblait devoir être abandonné et que le Gouvernement en place se résignait (presque) à perdre les prochaines élections, le Ministre des finances eut un sursaut de fureur et éructa : puisque les chômeurs coûtaient chers et que les vieux coûtaient chers, pourquoi ne pas fondre ces deux coûts en un ? On s’étonna de ne pas y avoir pensé plus tôt et de cette idée révolutionnaire naquirent corrélativement la loi incitative à la prise en charge des personnes âgées (LIPECPA) et l’Allocation de Recomposition Sociale (ARS). Le schéma, vraiment, était fort simple, et satisfaisait la gauche sociale comme la droite conservatrice. Il s’agissait de fournir une allocation spéciale à tout chômeur de longue durée faisant acte de prise en charge d’une personne du 3ème âge. C’était fou le nombre de problèmes qui se trouvaient ainsi résolus, ou en passe de l’être :

1) L’ARS, bien entendu était exclusive de toute autre indemnité, notamment du RMA (revenu minimum d’adaptation) et « l’adoptant », de ce fait, disparaissait des statistiques du chômage ; résultat : celui-ci diminuait.
2) Le chômeur était tenu de vivre sous le même toit que la personne âgée prise en charge. De cette manière, on résolvait le problème des Sans Domicile Fixe et la crise du logement des cités, la plupart des personnes âgées vivant dans un appartement trop grand pour eux.
3) Le chômeur contractait envers la personne prise en charge l’obligation de le nourrir, celles de le vêtir et de le soigner. En contrepartie, il était logé et bénéficiait de l’ARS, laquelle était versée sur un compte ouvert aux deux noms. De cette manière, on limitait le recours aux hospitalisations et aux services d’urgence et, bien sûr, les coûts afférents et le déficit de la Sûreté Sociale en étaient diminués d’autant.
4) Les personnes qualifiées pour bénéficier de la prise en charge devaient réunir les conditions suivantes : avoir plus de 60 ans, vivre seules, avoir un revenu inférieur à un certain seuil et un TAC (Taux d’Autonomie Citoyenne) inférieur à 60 %. Le Tac prenait en compte l’état de santé de la personne, sa mobilité et l’existence d’un entourage familial actif. De cette manière, il était impossible de détourner l’esprit de la loi et « d’adopter » un vieux riche et valide.

La campagne de promotion de ce nouveau système social fut lancée en automne et habilement menée. En premier lieu, la presse fit écho de tous les faits divers concernant les agressions des personnes âgées : durant trois mois avant l’entrée en vigueur de l’IPEPCA, on n’entendit plus parler que des crimes commis à l’égard de ces pauvres vieillards, qui dévalisés à la sortie du distributeurs automatiques, qui braqués dans les transports en communs, qui poignardés dans leur appartement. Un climat de terreur s’instaura. Puis, le Gouvernement annonça que le RMA ne serait pas augmenté. L’IPEPCA fut promulguée début décembre et arriva comme un cadeau de Noël. On fit valoir aux troisième âge et suivants le complément de revenu que constituait l’ARS (puisqu’après tout l’allocation était versée sur un compte à leur nom) et la sécurité que leur apporterait une présence continue auprès d’eux, joyau inestimable dans le contexte d’agression et d’insécurité galopante du XXIème siècle. De l’autre, on présenta l’ARS aux chômeurs comme un véritable salaire (puisqu’après tout l’indemnité était versée sur un compte à leur nom), rémunération d’un travail ouvrant droit à la retraite et aux avantages sociaux. L’ARS fut fixée à trois fois le RMA. L’ANPE fut chargée d’organiser des rencontres entre chômeurs et personnes âgées, lesquelles connurent un succès remarquable. Les mairies enregistrèrent 100 000 PECS (Prises En Charge Sociales) dès janvier. Ce nombre continua à croître durant tout l’hiver.

C’est en mai qu’éclata le scandale qui allait devenir l’affaire « Norbert Duranton ».
Norbert est un copain ; nous fréquentons le même club de tarot depuis des années et c’est toujours un plaisir de se rencontrer tous les jeudis après-midi, qu’il vente ou qu’il pleuve. A l’époque, Norbert, qui est asthmatique, faisait des crises de plus en plus fréquentes - la pollution sans doute- à tel point qu’il dut être hospitalisé plusieurs fois et que nous fument même contraints le faire évacuer du Club par les pompiers lors d’un après-midi d’été particulièrement torride. A part ça, Norbert est comme vous et moi : il marche, il monte les escaliers (doucement et en s’arrêtant aux paliers), il fait ses courses (par petits paquets, c’est le fils du concierge qui les lui monte dans son appartement), il a troqué sa voiture contre les transports en commun… Bref, c’est un vieux Monsieur tout ce qu’il y a de plus normal, avec simplement une grosse bombonne de ventoline sur lui.
Norbert arriva un après-midi d’avril au Club dans un état d’excitation et de révolte dépassant de loin ses gueulades ordinaires. Il faut dire que Norbert est notre revendicateur, faiseur de monde et critique de première.
- « Ils ont descendu mon TAC à 58 % ! Ils veulent me faire adopter ! »
- « Doucement, calme-toi, qu’est-ce que tu racontes ? »
- « Je vous dis qu’ils nous traitent comme des gamins ! On est tous en train de se faire entuber en criant « encore » ! C’est scandaleux, c’est de la manipulation pure et simple, ils sont tous vendus, au gouvernement ! ».
Cet après-midi là, il n’y eut pas de tarot. La discussion s’engagea et Norbert parvint à nous expliquer que son Taux d’Autonomie Citoyenne avait été révisé sans qu’il en soit prévenu et qu’il avait automatiquement été inscrit sur « les listes des personnes pressenties aptes aux PECS » (expression qui le faisait éructer de colère et d’indignation). Il n’avait été informé de tout cela qu’a posteriori, par une lettre de la mairie qu’il eut peine à nous montrer tant il l’avait froissée. Plus qu’une lettre, cela ressemblait à un dépliant publicitaire personnalisé : très coloré, le document informait cordialement le destinataire qu’à compter de ce jour, il avait la chance (« la chance », bande d’enfoirés ! rageait Norbert) de pouvoir accéder aux avantages du système de PECS, rappelait lesdits avantages et invitait la personne à se rapprocher de l’ANPE de son quartier (suivait l’adresse) pour obtenir de plus amples détails.
Norbert disait : « vous vous rendez compte, ils décident de diminuer notre taux d’autonomie et nous n’avons rien à dire ! Bientôt ils nous obligeront à souscrire à la PECS ! C’est inadmissible ! C’est une atteinte aux droits de l’homme ! ».
« Mais voyons Norbert, temporisait Léo, ce n’est pas parce que ton TAC est inférieur à 60 % que tu dois nécessairement te « PECSER », ils ne peuvent pas t’y contraindre, tu exagères ! »
Mais Norbert n’en démordait pas : « Tu n’es qu’un con, tu verras, toi aussi ils t’auront, ils nous auront tous ! C’est une belle arnaque, je ne me laisserai pas faire, moi ! ».
Dans notre groupe, les avis étaient partagés. Certains étaient révoltés, comme Norbert, qu’on puisse modifier le TAC d’une personne sans lui donner voix au chapitre ; d’autres, se rangeant à l’opinion de Léo, considéraient que la modification du TAC en elle-même était sans réelle conséquence, si ce n’est qu’elle conférait un droit, un choix, supplémentaire : celui de souscrire à la PESC. J’étais moi-même indécise : visiblement, Norbert poussait loin l’exagération, ce qui nuisait à sa crédibilité. Mais les paroles de Léo, pour rassurantes qu’elles soient, ne parvenaient pas à effacer le sentiment persistant de malaise engendré par les révélations de Norbert. Les élucubrations forcenées et caricaturales de notre ami étaient-elles visionnaires ?
La semaine suivante, Norbert nous informa qu’il entendait intenter un procès à l’administration. Il avait envoyé une lettre recommandée avec accusé de réception contestant la décision de révision de son Taux d’Autonomie Citoyenne et d’inscription sur les listes d’aptes à la PESC. S’il ne recevait aucune réponse dans un délai de deux mois, il serait fondé à contester la décision de l’administration devant le Tribunal administratif.
Ainsi commença l’affaire « Norbert Duranton », qui devait non seulement défrayer nos jeudis après-midi mais également faire la « une » des médias. Comme Norbert l’avait prévu, l’administration ne donna aucune réponse à sa requête et notre ami introduisit un recours devant la juridiction compétente. De manière exceptionnelle, le procès ne dura que trois ans, appel et cassation compris, ce qui est un record de brièveté pour une procédure administrative juridictionnelle. A croire que le Gouvernement avait donné instruction de presser le mouvement… Toujours est-il qu’au bout de ces trois ans, la décision du Tribunal administratif, confirmée par la Cour d’appel et entérinée par le Conseil d’Etat pouvait se résumer ainsi :
- toute personne doit pouvoir faire entendre ses observations avant que son TAC ne soit révisé : l’administration est donc tenue de prévenir l’individu concerné du projet de révision et de lui demander ses observations, sous peine d’annulation de la modification du TAC ;
- toute modification du TAC doit répondre aux critères objectifs définis par la loi, à savoir l’état de santé de la personne, sa mobilité et l’existence ou non d’une prise en charge par l’entourage familial ;
- devient « adoptable » toute personne répondant à des caractéristiques objectives, indépendamment de sa volonté subjective : toute personne ayant un TAC inférieur à 60 % est donc inscrite d’office sur les listes de la PESC.

En conséquence, la décision de modification du TAC de Norbert Duranton fut annulée, celui-ci n’ayant pu faire entendre ses observations préalables.

Chacun crut que notre ami avait gagné. Mais lui n’eut pas cette faiblesse. Je me souviendrai toujours de la lassitude qui emplissait ses yeux ce jeudi d’octobre lorsqu’il arriva au Club, l’arrêt du Conseil d’Etat à la main. A Léo qui se réjouissait de son apparent succès, il dit : « Ils nous ont eu, Léo. Ça –montrant l’arrêt- c’est du pain jeté aux loups, quelque chose pour nous faire patienter, pour nous faire croire qu’on est encore libre, mais tu verras que ce n’est que du vent… ». Déroutés, nous restâmes muets : incompréhension et angoisse se mêlaient dans nos regards ; le discours de Norbert, prononcé sans colère, nous paraissait infiniment plus effrayant que les accès de rage auxquels il nous avait habitués.

L’administration ne manqua pas de réinitialiser la procédure de révision du TAC de notre ami. Celui-ci eut beau faire valoir ses arguments, son taux d’autonomie fut à nouveau fixé à 58 % et son nom porté sur les listes de la PESC : son procès n’avait, en réalité, rien changé… Le droit de l’individu à faire valoir son point de vue avant la diminution administrative de son TAC était une coquille vide. Après cela, Norbert fut l’objet de pressions discrètes, mais insistantes, pour être « adopté ». En deux ans, il fut convoqué plus de trente fois à l’ANPE pour rencontrer des chômeurs de longue durée, et ce bien qu’il ait expressément signifié sa volonté de NE PAS souscrire à la PESC. Un soir, Norbert regagnant son domicile après notre après-midi de tarot, trouva sur son palier deux hommes masqués qui tentèrent de le racketter.
- « Si tu veux rentrer chez toi intact, vieillard, file-nous ton blé ! »
Norbert ne dut son salut qu’à sa présence d’esprit.
- « Je viens juste dîner chez un ami…
- Ton pote n’est pas là. Crache ton fric et déguerpis ! »
Norbert ne demanda pas son reste et repartit en leur laissant son porte-monnaie. Il se rendit tout droit chez le concierge, lui expliqua l’affaire et lui demanda d’appeler la police. Celle-ci enregistra la plainte de Norbert mais ne retrouva jamais les racketteurs… Une fois remonté chez lui, notre ami s’offrit une petite crise d’asthme, qu’il parvint à enrayer seul. A partir de ce jour, Norbert devait s’intéresser de près à l’automédication et à toutes les formes de médecines orientales et zen. C’est également à compter de cette date que Norbert fut convaincu que le racket dont il avait été victime était une forme de pression organisée par le Gouvernement, avec l’aide des chômeurs. Mais quoiqu’il advînt, Norbert ne devait jamais céder à cette pression.

Ce ne fut pas mon cas. Je m’appelle Fanny CHOPART et j’ai aujourd’hui soixante et onze ans. J’écris cette histoire car je n’ai plus rien à perdre. Au pire, la mort m’attend ; mais ne m’a-t-elle pas toujours attendu ?

Lorsque j’eus 67 ans, ils fixèrent mon TAC à 55 % au prétexte que mon arthrose s’aggravait et que ma dernière fille venait de déménager à plus de 100 Km de mon domicile (273 Km, exactement, c’est un chiffre que je ne peux pas oublier ; elle suivait son mari qui venait de retrouver un emploi). Je m’y opposais en vain. Ma fille témoigna en indiquant qu’elle ferait tous les déplacements impliqués par mon état de santé. Ils rendirent hommage à sa piété filiale ( !) mais décidèrent que « objectivement, un entourage familial à plus de 100 Km ne pouvait être considéré comme un entourage familial actif au sens de la loi ». J’envisageais un déménagement mais, à l’idée de m’éloigner de mes vieux amis, le cœur me manqua. Mon taux d’autonomie citoyenne fut donc abaissé au dessous du seuil fatidique. Contrairement à Norbert, et sur ses conseils d’ailleurs, je pris bien soin de ne jamais me prononcer ouvertement contre la PESC. Je me rendais obligeamment à toutes les convocations de l’ANPE pour rencontrer les chômeurs de longue durée. J’appris à me composer un personnage acariâtre propre à dégoûter n’importe lequel d’entre eux. Ce fut difficile car à cette époque, l’ANPE organisait de grands jeux de société par équipe, de manière à « révéler les affinités ». J’ai toujours énormément aimé jouer et il me fut extrêmement pénible de réfréner mon entrain dans ces occasions.

Je subis ma première agression deux ans après la révision de mon TAC : ils avaient dû comprendre que je faisais de la résistance passive à la PESC. Peut-être même était-ce automatisé ? Quelque part, des ordinateurs transféraient sur une liste rouge les noms de ceux et celles qui, au bout de deux ans, n’avaient pas succombé au charme empoisonné de la PESC…
Ils m’attendaient aussi sur le palier de mon appartement. Mais je n’eus pas la présence d’esprit de Norbert. Je n’eus pas même la force de sortir la bombe lacrymogène de mon sac à main ; en lieu de cela, je sortis mon portefeuille et le leur remis… Ils me laissèrent rentrer dans mon appartement sans mal mais menacèrent de revenir pour le visiter avec moi… Je m’assis sur mon lit. Je tremblais comme une feuille. Je ne pus me résoudre à me dévêtir et demeurais ainsi jusqu’au matin, dans un appartement qu’aucune lumière ne parvenait plus à éclairer vraiment. Quand vint l’aurore, je sus qu’en dépit du yoga et des séances d’autodéfense, jamais je n’aurais la force de résister à la vague de terreur qu’ils avaient déchaînée en moi. Ce n’était plus qu’une question de temps…
Dès lors, je changeai. Je me mis à appréhender chacune de mes allées et venues, spécialement les moments où j’étais hors de la foule. Je guettais mes voisins pour descendre mes poubelles en même temps qu’eux afin de ne pas me trouver seule au sous-sol. Je sursautais au moindre bruit. Je devins irritable et peureuse, maussade. Je vivais en bête traquée ; mon visage ne reflétait plus guère d’autre expression que celle de l’angoisse.
La seconde attaque survint moins de trois semaines après la première. C’était un matin clair où j’avais épié le bruit de la porte voisine et je me trouvais dans l’ascenseur avec le Monsieur de l’appartement d’en face. « Excusez-moi Madame, me dit-il d’un air préoccupé en regardant sa montre, je suis très en retard ce matin, je risque de rater mon train ; auriez-vous l’obligeance de descendre ma poubelle avec la vôtre ? ». Je m’entendis répondre, comme une automate, « Mais certainement Monsieur ». Je me mordis les lèvres, les larmes me montèrent aux yeux : pourquoi avait-il fallu que je réponde par politesse ? La panique s’empara de moi à tel point que je restai paralysée et perdis plusieurs précieuses secondes. Je recouvrai enfin mes esprits et allai avouer ma terreur à mon voisin lorsque la porte de l’ascenseur s’ouvrit. « Je vous remercie Madame, bonne journée », dit-il. Frénétiquement, j’appuyai sur tous les boutons des étages pour que l’ascenseur remonte ; mais il avait préalablement enregistré la demande pour le sous-sol et reprit impassiblement sa descente. Arrivée au niveau redouté, la porte s’ouvrit automatiquement. Je vis que le couloir était désert. Le local à ordures était en face, à quelques mètres de moi. Quelques pas et je serais débarrassée de cette corvée épuisante, quelques pas de courage et je pourrais vivre ma journée sans avoir à épier un autre voisin avec une autre poubelle… Je sortis de l’ascenseur et me précipitai me débarrasser des sacs. En quelques secondes j’étais à nouveau devant l'élévateur. Mais celui-ci n’était plus là. J’avais moi-même appuyé sur toutes les touches des étages supérieurs et je réalisai avec une frayeur glacée que l’engin ne reviendrait pas avant plusieurs minutes. Je commençai à trembler. L’éclairage sinistre, les murs pisseux, l’odeur sordide, m’envahirent. Je ne pouvais pas attendre, je ne pouvais pas ! Une terreur abjecte s’empara de moi. J’empruntai l’escalier de service.
Ils étaient là. Je me mis à pleurer avant même qu’ils ne m’adressent la parole. Ils avaient un couteau et ils jouèrent à en essayer le fil de la lame sur mon bras. Je fis pipi sous moi. L’urine dégoulina le long de mes jambes dans mes bas jusque dans mes chaussures. Cette fois-là, ils me volèrent mes bijoux. Je ne porte pas de bijou, mais j’ai toujours autour du cou ma chaîne de baptême et sa médaille, une Vierge de profil, fine et délicate, penchée sur sa prière. Je ne crois pas en Dieu mais cette chaîne était comme un talisman d’enfance, une sorte de continuité de moi-même, entre la petite fille que j’étais et la vieille femme que je suis. Ils me l’ont prise. Puis ils me forcèrent à remonter les escaliers avec eux jusqu’à mon cinquième étage, m’encadrant et murmurant à mes oreilles les pires atrocités.
De retour dans l’appartement, je compris que je ne pourrais continuer à vivre ainsi sans perdre la raison. Je me lavai, m’habillai et me rendis à l’ANPE, en taxi. Ma procédure de PESC fut achevée en moins de deux semaines.

Aujourd’hui je suis vivante et saine d’esprit. Je suis en sécurité. Du moins tant que je travaille. Présentement, j’écris mon histoire au lieu de fabriquer des boites en carton. Je suis lasse de fabriquer des boites en carton. J’ai conservé une excellente vue et j’ai toujours été douée en pliage… Ils ont monté un marché noir ; ils font travailler leurs vieux et ils écoulent la marchandise aux commerçants du coin ; j’ai vu mes cartons chez mon boulanger… Un jour, j’ai même acheté des religieuses au chocolat qu’il a emballées dans une de mes boites. Je lui ai murmuré : « Vous savez, ces boites, c’est moi qui les fabrique ». Il m’a regardé gentiment, mais un peu bizarrement ; il ne m’a pas crue. Je n’ai pas insisté. La fois où j’ai fait grève, mon co-PESC est parti pendant deux semaines en vidant le compte en banque ; j’ai dû descendre quatre fois les poubelles seule. Je n’ai plus fait grève depuis. En plus de l’argent qu’il gagne avec mes boites, il ponctionne tous les mois deux tiers de l’ARS de notre compte PESC ; il dit qu’il a de plus gros besoins que moi. J’achète moins de pâtisseries et je prends moins souvent le taxi, mais globalement, ça va. Naturellement, cela fait longtemps que je n’ai pas acheté une nouvelle robe. Au moins, il n’amène pas ses partenaires sexuels à la maison, comme le co-PESC de Léo.
Je fréquente toujours notre club de tarot, tous les jeudi après-midi et parfois même le samedi, mais pas trop souvent pour ne pas éveiller l’attention. La cave du Club a été transformée en stand de tir. C’est Norbert qui nous a procuré les armes, il a un copain qui était armurier avant d’être vieux. Nous avons aussi une radio, qui, sous couvert de propager de la poésie d’avant-garde, diffuse des messages codés aux quelques milliers de Clubs qui ont rallié notre organisation.
Ce soir est le grand soir. Nous allons prendre l’Assemblée Nationale et le Sénat qui sont en session extraordinaire, et réclamer l’abolition immédiate de l’IPEPCA et de la PESC. Nous sommes plus nombreux qu’eux, plus résolus et nous n’avons plus rien à perdre. Vivre libre ou mourir… S’ils résistent, mon excellente vue servira pour d’autres cartons.

Fanny CHOPART, à Paris, le 18 mai 2068.

vendredi 19 décembre 2003

Poison

Je contractai très tôt le goût des substances dangereuses. A ce point tôt, d’ailleurs, que mes parents s’en inquiétèrent et mirent rapidement hors de ma portée de petite fille les produits d’entretien domestique et les médicaments. Je ne m’explique pas cette attirance ; je suppose simplement qu’au début, ce fut visuel : l’étrangeté de l’étiquette rouge à tête de mort… Toutefois, je ne dédaignais pas non plus les alcools forts et lorsque mes parents recevaient, je faisais généralement le tour des verres d’apéritif demeurés sur la table basse du salon pendant le déjeuner des adultes. Cela passa inaperçu quelque temps, ma mère se félicitant simplement de la politesse des invités qui, sans exception, se délectaient de leur breuvage jusqu’à la dernière goutte ! Elle finit pourtant par me surprendre dans mes agissements de dégustatrice : le bar fut mis sous clef et jamais plus la petite table du salon ne s’embarrassa de verres à moitié pleins durant le repas… Enfant, je grandis donc à l’abri des conséquences qu’aurait pu engendrer cet attrait néfaste.
Le fait semblait être anodin : tous les chérubins du monde ne portent-ils pas à leur bouche ce qui leur tombe sous la main à titre d’expérience, en particulier ce qui leur est interdit ? Passé l’âge de raison en effet, je parus m’être désintéressée des produits toxiques, du moins ménagers. Je présume que l’utilisation sanitaire qui en était faite leur avait ôté toute magie. Néanmoins, un soir que mes parents étaient sortis, je goûtai la mort aux rats du bout de la langue ; complètement paniquée, j’allai ensuite me gargariser longuement dans la salle de bains, crachant mes tripes et priant Dieu de m’épargner cette fois-là. La peur m’assagit un temps.
La tentation, cependant, demeurait tapie dans l’ombre. L’armoire à pharmacie n’était plus si haute qu’autrefois. J’avais bien entendu été dûment chapitrée sur le sujet mais on pensait que ma raison avait pris le pas sur mes instincts, et notamment que, sachant lire et me montrant par ailleurs d’une sagesse quasi-exemplaire, je ne m’aventurerais plus à tester les médicaments. C’était en partie juste : la lecture des notices suffisait à m’arrêter en matière de cachets, poudres et autres gélules. Mais les potions exerçaient incontestablement sur moi une attraction étrange et je restai longtemps à manipuler fioles et bouteilles, cherchant à deviner la couleur du liquide à travers les parois opaques, supputant son épaisseur en le faisant couler d’une extrémité à l’autre, dévissant les bouchons, reniflant à pleines narines, me demandant comment un remède pouvait nuire et si je saurais y résister.
Je finissais toujours par succomber, léchant une goutte, puis une autre, puis la cuillère. Tous les sirops y passèrent, même les plus âcres. J’en fus quitte pour des maux de ventre incompréhensibles et des diarrhées diaboliques, les lendemains de test. Mes parents en conclurent que je déclenchais des réactions psychosomatiques à leur absence et je dus espacer mes essais pour éviter le psychologue.
Si la lecture des notices avait réfréné mon penchant pour les substances toxiques médicamenteuses, c’est à celle des romans que je dois la cristallisation de ma fascination sur les poisons. Cette découverte eut tout d’abord une influence bénéfique, me détournant définitivement de la pharmacie familiale. En effet, les sirops médicinaux me parurent bénins comparés aux sucs bruts des plantes et aux venins mortels des serpents, scorpions et autres scolopendres. Le dernier des Mohicans trempant ses flèches dans le curare, le père d’Hamlet, roi de Danemark, succombant au poison versé dans son oreille par son propre frère, Emma Bovary se donnant la mort par absorption d’arsenic et autres héros, plus ou moins célèbres, retenaient désormais toute mon attention.
Dans un roman policier, je découvris que l’on pouvait acquérir l’immunité contre un poison en habituant l’organisme à en absorber régulièrement de petites doses. Cette promiscuité avec le venin, cette manière de l’apprivoiser et d’en faire une part de soi-même, me fascinait. Je fis des rêves récurrents dans lesquels je résistais aux morsures d’une vouivre ou échappais à une tentative d’empoisonnement grâce à cette immunité. Bientôt je n’eus plus qu’une idée : me procurer du venin de serpent et tenter l’expérience. A la grande surprise de mon entourage, je me mis à fréquenter assidûment les zoos, section reptiles, alors que j’avais toujours proclamé abhorrer les animaux en cage. Ce fut d’ailleurs peine perdue car si je restais des heures à contempler les vipères du Gabon et autres crotales de la Vallée de la Mort, mes interventions maladroites auprès des gardiens des ménageries ne firent que provoquer soupçons et haussements d’épaules. Je dus me résoudre à patienter.
Je connus rapidement tous les marchés, puces, brocantes, vide greniers et drogueries des alentours. Cependant les années passaient, laissant mon obsession intacte et insatisfaite.
Pour mes dix-huit ans, je demandai à mes parents de m’offrir un voyage au Maroc, en camp itinérant d’adolescents, ce qu’ils acceptèrent. Je voulais profiter d’un pays francophone riche en reptiles pour essayer d’obtenir ce que les circonstances m’avaient refusé jusqu’alors. Le séjour prévoyait quelques jours de liberté dans la capitale. Le souk me semblait prometteur, mais je n’y trouvai malheureusement aucun poison à vendre. Toutefois, je repérai dans son dédale un charmeur de serpents. Posté là, il offrait son spectacle aux touristes en mal de sensations. L’homme, enturbanné, jouait d’une sorte de flûte en bois d’où sortaient des sons tour à tour stridents, rauques ou doux… Dans un panier devant lui, gisaient plusieurs reptiles, de différentes variétés, tous venimeux ainsi qu’il l’expliquait aux curieux. Selon l’air psalmodié sur le morceau de bois, l’un ou l’autre serpent s’élevait dans l’air, ondulant, sifflant. Leurs têtes gardaient une inquiétante fixité tandis que leur langues étaient agitées d’un frémissement continu et que leurs anneaux, lentement, se déroulaient… La mort était en eux, et qui dansait.
Quatre jours durant, à l’insu de mes amis, je revins dans ce coin du bazar, toute de long vêtue et cheveux cachés comme il se doit, pour tenter de convaincre l’homme de me monnayer une fiole du venin de ses compagnons. Trois fois il refusa, mais le quatrième jour, comme notre départ était imminent et que les enchères montaient, il céda. J’obtins qu’il fit cracher les reptiles devant moi, afin d’être certaine du contenu du flacon. Puis nous partîmes chercher l’argent. Je n’avais pas voulu en apporter sur moi de crainte de me faire détrousser ; je n’osais pas plus laisser le vendeur seul de peur qu’il ne vida la fiole et ne la remplit d’un liquide anodin. Il s’était couvert le visage comme un touareg pour n’être pas reconnaissable. Je lui laissai la totalité de mes économies.
Cette acquisition, l’effluve de mystère et d’exotisme dont elle s’entourait, la difficulté qui l’avait présidée, l’acharnement et l’énergie qu’il m’avait fallu déployer, m’épuisèrent et me repurent les premiers mois. Je revoyais l’homme cueillir les serpents au cou, les gueules s’ouvrir, les crochets saillir, le liquide couler, goutte à goutte ; je revoyais le cachetage de la fiole à la cire noire, mes mains qui tremblaient en donnant l’argent, le dos de l’homme s’en allant par les ruelles, le drapage de sa tunique, mes doigts se refermant sur le flacon violet de mon obsession.
A ces images mon cœur battait plus vite, ma peau se hérissait, des frissons glaçaient ma nuque ; c’étaient des sensations délicieuses d’effroi et d’excitation, de douleur inventée et de fascination horrible. Deux longues années s’écoulèrent ainsi, la contemplation du flacon me nourrissant, sans que j’osasse goûter ni en ressentisse vraiment l’envie.
Peu à peu cependant, le pouvoir d’évocation de la fiole s’étiola. Vint un jour où je vis le flacon tel qu’il était, une bouteille biscornue remplie de liquide et scellée. Restait l’aventure du contenu. Alors j’ouvris et je bus.
Une demie goutte à la fois, sur du pain. Le liquide avait une odeur inconnue, tenace sans être agressive, étrange. Je savais que le suc était un mélange de venins provenant de différents serpents et j’en inférais qu’il devait être d’autant plus puissant. La première absorption fut effrayante, mais j’y survécus. Un brasier s’alluma en moi et des picotements gagnèrent ma peau sur toute sa surface. La sueur coulait sur mes tempes tandis qu’il me semblait que les reptiles eux-mêmes investissaient mon ventre et le pliait sous leurs contorsions. La souffrance était poignante et me tenait haletante. Quelque chose en moi étouffait, brûlait, se débattait, exigeant sa liberté. J’eus, parfois simultanément, des sueurs froides, des bouffées de chaleurs, des accélérations cardiaques, des nausées, des vertiges, des fièvres, des crampes d’estomac. Malgré cela, mon désir de venir à bout de ce poison, de l’assimiler et de le posséder, l’invincible fascination qu’exerçait sur moi son pouvoir mortifère et l’abîme de l’inconnu, me firent persévérer. Aux premiers temps, j’avalais la tranche de pain imprégnée immédiatement après le petit déjeuner. Les douleurs furent si intenses que je me résignai à opérer le soir après dîner. Il y eut des nuits sans sommeil, oppressantes, où, possédée par le poison, je tournais et retournais mon corps enfiévré, étreignant l’oreiller dans un délire intense, jusqu’à ce qu’épuisée, rompue, je sombrai dans une nuit sans fond.
Au bout de quelques mois, j’en vins à aimer cette lutte. Chaque soir, mon excitation grandissait à l’approche du coucher ; j’humai l’odeur du poison, je guettais le passage du venin dans mes veines. Bientôt je parvins à anticiper ses effets selon l’état de mon humeur et de ma santé physique. Un soir, restée dormir chez une amie à l’impromptu, je ne pus boire ma demi larme de poison. Je goûtai cette nuit-là un sommeil facile, inodore, anodin, ennuyeux. Je m’aperçus que je désirais le suc malfaisant ; en vérité le poison m’avait domptée. Je réclamais son ivresse, je l’espérais, je m’y délectais, recherchant le plaisir du combat, souhaitant non que cela cesse mais que cela dure toujours. Mon esprit se cabra contre cet asservissement des sens. Mais prit prétexte qu’il fallait persévérer pour mieux s’en affranchir. Et céda.
Un an passa. Les effets du poison devenaient irréguliers. Certains soirs, il m’engourdissait simplement dans une sorte de torpeur bienheureuse. Mon organisme réclamait plus. J’étais taraudée par l’envie d’augmenter la dose et par la peur de dilapider le contenu de la fiole trop vite. Je revins à mon idée première : acquérir l’immunité contre le poison. Dès lors, je décidai de savoir si, après une année d'usage quotidien, mon corps saurait résister à une absorption équivalente à une morsure.
Je préparai soigneusement mon essai. Logeant seule dans un studio depuis quelques temps, je programmai sur le téléphone les numéros des hôpitaux les plus proches, pour le cas où l’expérience tournerait mal. Dans la même optique, je décidai que le test n’aurait lieu ni un week-end, ni un jour férié, ni un soir et j’élus le mardi après-midi après les cours : en début de semaine, avant le mercredi, jour des enfants, mais après le lundi, jour de reprise et de mauvaise humeur générale. Je demandai à une amie de passer me chercher pour une séance de cinéma, vers 17 h 30.
Le jour dit, je rentrai de l’université, fébrile. J’achetai, suprême raffinement, une part de brownies. Je glissai un échantillon du venin sur moi, au cas où l’on me trouverait, chose tout de même peu probable, sans connaissance. Je mangeai lentement, tentant d’imaginer les prochains effets du poison dans mon corps, sentant l’excitation gagner chaque cellule de ma peau, hérisser mes poils. Parvenue au dessert, je versai sur le gâteau une demi cuillère à café de poison et je dégustai.


Je fus hospitalisée trois semaines. Je restai de longs jours entre la vie et la mort et je crus plusieurs fois expirer dans d’atroces souffrances. La douleur appelant la lucidité, je me haïssais d’avoir succombé à cette attirance destructrice. Quelle folie étrange m’avait donc poussée ? Prendre un risque mortel et gratuit au mépris de moi-même, de mes chances, de mon intelligence, tout perdre pour n’avoir su résister ? Je ne me comprenais plus. Je me jurai que jamais plus je ne deviendrai l’esclave d’une souffrance, d’une attirance nuisible ; que je ne me complairai jamais plus dans une douleur malsaine, que je serai moi-même, tonique et vivante, maîtresse de mes actes et non plus enchaînée ; libre d’être saine ; saine de savoir dire non.
Le médecin avait immédiatement décelé l’empoisonnement, découvert l’échantillon et n’eut pas grand mal à m’arracher les confidences nécessaires à me soigner, tant, dans mon immense douleur, étaient grande ma détresse d’avoir agi contre moi-même et considérable l’instinct de vie qui me soutenait. Sanglotant et hoquetant, je lui racontai toute l’histoire. J’obtins, secret médical oblige, qu’il ne divulgua pas l’origine du mal à ma famille, puisque j’étais majeure, et chacun crut à un grave empoisonnement alimentaire. Cependant le médecin m’indiqua que si je devais absorber à nouveau ce poison, ma mort serait certaine. Frémissante d’horreur, je lui promis de me débarrasser de la fiole violette.

*****

Cela fait maintenant dix ans que j’ai délibérément frôlé la mort, pour le plaisir, la sensation, l’extrême. C’est une expérience effrayante qui m’a assagie pour le restant de mes jours. Lorsque j’y repense aujourd’hui, je n’éprouve qu’incompréhension devant cet acte aussi totalement tourné contre moi-même. Chez nous, les produits ménagers sont scotchés et mis sous clef après chaque utilisation et l’armoire à pharmacie est placée à 1,80 m de hauteur, comme le bar. Du reste, mes enfants n’ont pas manifesté à ce jour cet attrait néfaste qui a failli m’être fatal. Pour ma part, cette obsession a laissé place à un équilibre personnel : j’aime mon mari, j’ai une vie professionnelle intéressante, j’ai des activités extérieures et je prends également grand plaisir à m’occuper de ma maison, à tel point que ces temps-ci, j’aide ma mère à ranger ses placards ! Novembre est un mois idéal pour le classement ! Ce n’est pas particulièrement intéressant mais cela lui plaît ; j’y trouve d’ailleurs mon compte car je redécouvre certaines affaires personnelles qui peuvent encore être utiles. Dans une caisse, j’ai retrouvé mes livres d’enfants ; ce sera une joie de les lire à Delphine et Mariette. Dans celle-ci, il y a mes vieux cours d’université. Je vais y jeter un coup d’œil mais je présume que tout est bon à brûler !

*****

La fiole est là, au fond d’un carton. Je croyais pourtant m’en être débarrassée. Elle est plus violette encore que dans mon souvenir. Qu’en faire, maintenant ? La jeter comme un vulgaire détritus ? J’hésite. C’est un témoin de mon passé, il ne servirait à rien de vouloir le nier en l’anéantissant. Mais à quoi bon la conserver ? C’est tout de même une partie importante de mon histoire personnelle. Je ne peux pas l’effacer d’un geste. Je suis guérie. Que ce flacon existe ou n’existe pas ne change rien. Je vais le ranger avec les produits dangereux.
J’aurais sans doute dû le sceller à nouveau. Bien que placé à près de deux mètres de haut, je ne peux pas le laisser simplement bouché : sait-on jamais qu’il se renverse ? Je vais acheter de la cire noire demain.
Apparemment la cire noire ne se vend plus ! En fait, je pourrais entourer la fiole d’un ruban adhésif, tout simplement… Mais ce serait laid. Ou bien faire fondre une bougie blanche ? Non, je pense que je vais attendre le marché de samedi : l’artisan des plumes et encriers sera peut-être là. Lui a certainement de la cire noire puisqu’il vend des sceaux.
Pas d’artisan au marché aujourd’hui ; il va falloir que j’attende samedi prochain. C’est vraiment pénible, j’ai hâte que cette flasque soit à nouveau cachetée. Je ne peux m’empêcher d’y songer, continuellement.
Voilà qui est fait depuis lundi. Je me sens mieux. Toutefois, je me demande toujours si je n’ai pas tort de vouloir la conserver. Peut-être, après tout, pour tirer un trait définitif sur cette expérience négative, rompre tout lien avec elle, renier totalement que cela ait pu être moi, devrais-je me débarrasser de cette fiole ? L’âge adulte doit-il être vécu comme la suppression pure et simple des éléments néfastes du passé ou comme leur acceptation et leur dépassement ? Il existe des milliers de poisons dans le monde qui pourraient me tuer, détruire celui-ci n’a pas de sens. Mais le conserver en a-t-il plus ? Est-ce une preuve de reconnaissance, de tolérance, de l’adulte que je suis envers l’adolescente que je fus ? Au contraire, l’adulte n’accomplirait-il pas l’adolescente en effaçant ce à quoi celle-ci a succombé ? Je ne sais pas. Ces questions tournent en moi comme un manège ivre.

L’hiver passe doucement. J’ai renoncé à donner une réponse à mes interrogations. La fiole demeure là où je l’ai rangée et c’est bien ainsi.

Je suis folle. Cet après-midi, une amie m’a emmené prendre un thé, au sortir d’une exposition, dans une boutique, turque ou hindoue peut-être, j’ai même oublié cela. L’odeur m’a saisie à la gorge dès l’entrée du magasin. Cette odeur pénétrante, inconnue et familière, celle du poison. Ma peau s’est hérissée, le sang est monté battre mes tempes, mon cœur s’est accéléré. Mes narines se sont ouvertes et j’ai respiré l’effluve avidement, comme le naufragé du désert plonge dans l’oasis. Mon corps entier, possédé par l’envie de ce parfum, contracté, brûlant, criait sa soif. J’ai demandé d’où provenait l’odeur : il s’agissait de thé à la bergamote ! J’en ai commandé un, puis un second. Rien ne s’est passé. Je m’abreuvais de sa fragrance mais mon ventre se nouait sur le désir de sensations perdues. Je buvais et ma bouche demeurait sèche ; j’humectais mes lèvres mais elles se consumaient.
Il fait nuit maintenant et je ne peux pas dormir. Ma chair appelle ce poison et ne me laisse pas de repos. Je me suis levée et je suis allée chercher la fiole. Je suis assise par terre, dans le salon, la flasque posée devant moi.
Violacée, tordue, elle se contorsionne sous l’effet du liquide qu’elle renferme, comme si le contenu, plus fort que son enveloppe matérielle, en prenait possession jusqu’à vouloir l’annihiler et la dissoudre. Une bataille de chaque instant est engagée, et je ne saurais dire si la flasque combat pour empêcher le liquide de s’échapper ou, à l’inverse, pour l’expulser.
Mais à cette seule vue ma bouche s’ouvre et mon corps s’embrase. Je sens mon estomac se nouer, le sang coule plus vite dans mes veines, mon cœur bat plus fort.
Je décachette le flacon, lentement. Mes mains tremblent. L’odeur pénétrante m’enveloppe et me pétrifie.
Je peux sûrement en reprendre sans danger une demi goutte chaque soir, comme avant. Après tout, mon organisme avait su le tolérer. A nouveau je sentirai la douleur délicieuse, le feu intérieur qui me dévore, à nouveau je succomberai aux rets empoisonnés et mon corps se tordra dans des vapeurs ardentes. Je désire cette douleur enivrante qui brûle et qui consume ; je veux posséder ce poison et ma chair s’offre encore à lui, dussé-je en mourir…
Je prends une tranche de pain et j’incline la fiole.

mercredi 17 décembre 2003

l’Homme de bois

C’est l’hiver. Les champs froids et humides sentent le vieux et la mort. La terre sans joie noircit l’horizon. Les arbres sont moignons, solitaires et cruels, perdus dans un ciel sans tendresse ni remords. Bientôt le gel les prendra de sa morsure mortelle. Qui sait s’ils en réchapperont ? La terre est une vieille peau, amère et fripée, déchue, que le brouillard enserre de son linceul sale.

Je suis une fille sauvage. Ils disent que j’ai le mauvais œil. Je vais de ferme en ferme. Ils m’emploient pour nettoyer les auges et les étables et m’occuper du fumier. Le reste du temps, ils me laissent tranquille car j’ai les yeux verts, les yeux du diable, parait-il. Je ne leur parle presque pas. J’aimerais mais je ne peux pas. Je ne les comprends pas. Et ils ont peur.

Aujourd’hui, il pleut des larmes de froid. Je suis allée à travers champs. J’aime cette terre désolée, mouillée et triste, que mon cœur accueille comme une sœur de misère. Lorsque j’arrive dans une ferme, j’aime prendre possession des terres. Elles se livrent plus facilement. Elles ne me craignent pas.

J’ai découvert dans le champ du fond, en lisière de forêt, un épouvantail. Il est très grand, très mince, et a de très grosses mains bleues. Cela m’a saisie, ces gigantesques mains d’azur ouvertes sur le blanc du ciel. Je me suis assise au bout du champ. La terre glacée s’étendait entre nous. Je l’ai regardé longuement. Ce n’est pas un épouvantail ordinaire. Il est tout bleu. Il a deux jambes, et non une, qui forment une arche pointue et semblent profondément ancrées dans le sol. Son chapeau se perd dans les nuages et ses bras sont largement ouverts. Sa veste parfois claque au vent comme la voile d’un bateau sur la haute mer. Je l’ai regardé si longtemps que le jour s’est enfui derrière lui.

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Depuis un mois, une fille me rend visite chaque jour. C’est une sauvage qui a toujours les cheveux dans les yeux. J’aimerais les voir, pourtant. Elle reste à l’autre bout du champ et me regarde comme si elle voulait me parler. Elle est jolie. Je suis content qu’elle vienne. On croirait presque qu’elle a besoin de moi.

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J’aime venir contempler cet épouvantail. Je m’assois et je lui parle. Il est l’unique personne qui m’écoute. Je sais qu’il me comprend. Souvent le vent fredonne dans ses cheveux de paille et semble lui faire faire un geste pour que je m’avance. Je n’y vais pas. Nous sommes proches déjà. Je suis sûre que même ses yeux sont bleus ; bleus océan.
L’hiver n’en finit pas de luire. Tout maintenant est immobile, en attente, en passage. Dans l’air glacial et lumineux, nos voix intérieures se rejoignent.
Hier il m’a parlé de sa solitude, de son besoin des hommes, de son mal-être. Il est solide, pourtant. Ses pieds sont en terre et sa tête est au ciel. Il voit plus loin que n’importe lequel d’entre eux. Je lui parle et je crois voir sa bouche s’ouvrir pour me répondre et son regard sourire.

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C’est le printemps depuis un mois déjà. La jeune fille continue de venir. Le vent, une fois, m’a permis de voir ses yeux : ils sont verts, c’est délicieux. Très vite elle s’est cachée à nouveau derrière ses cheveux, sans rien dire. Elle me conte combien son âme est affligée d’être rejetée du monde humain, combien cela la rend méchante et cruelle, dure et sauvage. Elle me parle du feuillage des arbres, des couleurs de la terre, du chant du vent. Son cœur bat lourd mais elle sourit.

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Son champ est un champ de blé. De jeunes et tendres épis verts poussent et le vent les entraîne jusqu’à lui, en une douce musique de nuances, en un effleurement audacieux et timide, à peine esquissé, comme l’eau tente d’amadouer le rivage.
Je ne me lasse pas de ces ondulations magiques, je voudrais être une herbe, moi aussi emportée par la brise, dans cette caresse infinie…

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L’été vient d’arriver, dorant les épis. Ils sont hauts maintenant et me cachent jusqu’à ses hanches. C’est un tapis de lumière que je déroule sous son pas pour qu’il la porte jusqu’à moi. Viendra-t-elle ?

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Aujourd’hui, je me suis un peu avancée et les herbes ont frôlé mes jambes en un souffle. Le blé a couru à lui comme on monte à l’assaut. Il n’a pas bougé mais j’ai vu son sourire. Le vent s’est tu alors, brusquement, et le soleil a dardé ses rayons sur mon corps. J’ai quitté mes chaussures pour marcher pieds nus dans la terre et j’ai ouvert les bras.
A mes lèvres le sang battait. Ma bouche assoiffée s’est entrouverte sur un mot que je n’ai pu prononcer ; je demeurais figée, impuissante tandis que le feu et le sang du monde roulaient dans mes veines, embrasant ma chair jusqu’à la souffrance. Une boule de flammes dévorait mes entrailles. Mes yeux se sont fermés. J’adorais l’insoutenable brûlure à laquelle mon corps rompu demandait merci.
Le vent s’est levé et le blé, revenant à moi, s’est accroché à mon ventre. Alors je suis tombée à genoux, mes yeux se sont rouverts sur des larmes : il est autre et, aussi loin que j’aille vers lui, il sera toujours de bois.

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Elle ne vient plus, elle ne vient plus ! L’été torride est vide. L’astre de feu mord tout, se repaît de chaque dernière goutte de sève, laissant les êtres pantelants et exsangues. Les épis assoiffés, hérissés, torturés, aspirent à leur mort prochaine. Qu’ils me fauchent donc aussi ! Oh, viens, je t’en prie, viens…

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Quelle chaleur ! Quel supplice ! La nuit pèse, fardeau sans étoiles. Le tonnerre frappe les esprits et les corps. La terre, exaspérée d’attente, invoque le ciel de ses doigts de feu. La foudre ! Mon Dieu ! Et lui, là-bas, dressé dans l’orage !


D’un bond, elle se leva et courut vers le champ dévasté par la moisson. L’orage alors creva. La pluie noyait les chemins et plaquait les cheveux de la jeune fille sur son visage tourmenté. Ses prunelles illuminées de flammes dansaient dans l’obscurité sur le tambour martelé de son cœur déchiré.

*********

Au matin, un corbeau passa dans le ciel apaisé. La terre, épanouie et humide, exhalait une odeur fraîche de feuillages. L’épouvantail était couché de tout son long, fendu en deux, sur le corps de la jeune femme. La foudre, dans sa folie, avait amené les mains bleues autour du tendre visage. Elle souriait dans la mort. Le soleil se levait.

mercredi 2 avril 2003

Serpent python bicolore de rocher

Chacun sait, ô Si-Choyé, que le Serpent Python bicolore de rocher loge sur les rives du grand fleuve Limpopo, tout gris-vert et bordé d’arbres à fièvre.

Et l’on m’a raconté, il y bien longtemps, fort longtemps à vrai dire, ô Si-Choyé, comment il avait évité à l’Enfant d’éléphant de se faire manger par le Crocodile, et ce qu’il en était résulté : une TROMPE.

Mais ça, c’est l’histoire de la naissance de la trompe des éléphants ; moi, ce que j’aurais bien aimé savoir, c’est d’où venait le Serpent python bicolore de rocher, ce qu’il faisait là ! Et pourquoi était-il bicolore de rocher ?

Le temps a passé, ô Si-Choyé, et cette histoire la voilà.



Au temps jadis, le Serpent Python bicolore de rocher n’était qu’un banal Serpent Python d’un blanc laiteux et translucide, horrible à contempler et honnis de tous les animaux.

Comme eux, il vivait au beau milieu du paradis terrestre, tout entouré de Cascades-à-fleurs, d’Arbres à fruits et d’Eau limpide. Comme il était laid, ô Si-Choyé, il avait pris l’habitude de se cacher dans l’Eau Limpide ; c’était là, vois-tu, qu’il passait le plus inaperçu. Car le Serpent Python était un grand sensible, comme souvent le sont les êtres très laids ; et il supportait mal les moqueries des autres animaux.

Un jour qu’il se reposait au fond de l’Eau Limpide toute chauffée par le soleil, il sentit une jolie ombre, toute de formes et de rondeur se pencher, qui assombrit son ciel et le fit frissonner. Il ouvrit un œil.
Et que crois-tu que ce fut ?

C’était Eve, ô Si-Choyé ! Eve, qui venait au bord de l’Eau Limpide, mirer son visage et lisser ses cheveux. Pour la première fois, le Serpent Python vit Eve. Et comme elle inclinait son visage sur l’Eau Limpide, toute à son image, le Serpent Python vit ses yeux.

Et les yeux d’Eve, ô Si-Choyé, étaient bicolores de rocher. Ne me demande pas pourquoi ils étaient bicolores de rocher : cela, c’est une autre histoire, que tu sauras un jour si tu es sage. Toujours est-il que les yeux d’Eve étaient bicolores de rocher. Mais non, cela ne veut pas dire que ses deux yeux n’étaient pas de la même couleur, tu n’y es pas du tout ! Faut-il donc que je te dise ce qu’est “ bicolore de rocher ” ?

Cela veut dire que dans ses yeux, se mêlaient les deux couleurs de la roche qui sont toute la terre et le soleil, le brun-vert de la terre et le doré du matin qui tous deux se reflètent sur les roches du paradis terrestre et leur donnent leur couleur naturelle, qu’on appelle bicolore de rocher. Car les pierres ne sont pas grises, ô Si Choyé, elles sont le reflet de ce que tu vois.

Eve avait les yeux verts-dorés, comme les feuilles mouchetées d’aurore, les fleurs de soleil perdues dans la forêt et comme les roches moussues du Paradis qui bordaient l’Eau Limpide.

Tout doucement, le Serpent Python se mit à pleurer au fond de l’eau. Personne ne s’en aperçut, ô Si Choyé, parce que les larmes dans l’eau, cela ne se voit pas, sais-tu ? Le Serpent Python pleurait parce qu’il était si laid et que les yeux bicolores de rochers d’Eve étaient si chatoyants qu’il eût voulu s’en parer. Il pleura bientôt si fort, à gros sanglots, que l’onde pure ondula, se souleva, brisant le miroir d’Eve, qui recula, étonnée.

- “ Qui est là ?

- Je suis le Serpent Python.

- Montre-toi, Serpent Python.

- Je ne sortirai pas de l’Eau Limpide car je suis hideux et tu te moquerais de moi ”.

Eve était très curieuse. Elle voulait voir le Serpent Python.

- “ Pourquoi as-tu troublé l’Eau Limpide où je me mirai ? ”

Le Serpent Python ne voulait pas avouer qu’il sanglotait au fond de l’eau, il dit :

- “ Je suis très fort, malgré ma laideur, j’ai un très long corps tout formé d’anneaux qui se tordent et se détordent, c’est ce qui a provoqué les remous de l’Eau Limpide.

- Si tu es si fort que cela, pourrais-tu grimper aux arbres ?

- Oui, je le pourrais, mais je ne le ferai pas car tu te moquerais de moi.

(Vois-tu, ô Si-Choyé, le Serpent Python était affreux, mais pas bête).

- Ecoute, Serpent Python, j’ai très envie d’une pomme, qui est tout en haut d’un arbre et je ne peux pas l’attraper. Sors de l’Eau Limpide, s’il te plait, et attrape-là pour moi, je te donnerai ce que tu veux.

- Me donneras-tu un peu de la couleur de tes yeux pour habiller mon corps disgracieux ?

- Oui, je te le promets ”.

Le Serpent Python sortit de l’Eau Limpide et dit à Eve : “ donne-moi un peu de la couleur de tes yeux et j’irai chercher ta pomme ”.

Quand Eve vit cette tête immonde, translucide avec les yeux saillants tout tristes et ce corps énorme cerclé d’anneaux violacés, elle eut très envie de se moquer. Mais il avait l’air si accablé qu’elle lui donna immédiatement un peu de la couleur de ses yeux pour s’habiller et le Serpent Python devint bicolore de rocher.

Alors il fit jouer ses nouveaux anneaux brun-verts moirés de soleil et cueillit pour elle la Pomme. Puis il alla s’admirer sur les berges de l’Eau Limpide.

Dieu, qui passait par-là, vit le Serpent Python devenu Serpent Python bicolore de rocher et se mit très en colère : “ Comment as-tu osé retoucher mon œuvre divine, Serpent Python ? ”

Il n’écouta pas la réponse du Serpent Python bicolore de rocher, qui essayait de s’expliquer, et, tout à son ire, lui cria : “ Ce que femme a donné ne se reprend pas. Cependant, Serpent Python, pour avoir bafoué ma création, je te bannis du Paradis Terrestre ! Désormais, tu vivras au bord du grand fleuve Limpopo, tout gris-vert et bordé d’arbres à fièvre. Là, tes écailles bicolores de rocher passeront inaperçues, noyées par la boue du fleuve et assombries par l’ombre des arbres à fièvre tout tordus. Tu perdras ta peau tous les ans ; ainsi fragilisé et laid à nouveau, tu deviendras faible et devras te cacher afin de survivre à ton entourage ! Qu’il en soit ainsi ! ”

Dieu chassa aussi Adam et Eve, mais plus tard : à vrai dire, ô, Si-Choyé, cela ne se passa pas du tout à cause de cette pomme, ni du Serpent Python.

Voilà, tu sais maintenant pourquoi le Serpent Python est bicolore de rocher et pourquoi, quand l’Enfant d’éléphant est arrivé au bord du Grand Fleuve Limpopo, le Serpent Python bicolore de rocher était là.

Tahaa, 2002-2004
En hommage à « l’Enfant d’éléphant » de Rudyard Kipling
(in Histoires comme ça).