lundi 1 mai 2006

La princesse et le chevalier sans cheval

Il était une fois un chevalier en armure. Son armure était très pesante, rigide, pas trop tape à l’œil. Juste de quoi bien protéger, sans attirer l’attention.

Autour du chevalier, il y avait un château. Un château fait de murs bien épais, bien hauts. Plutôt gris. Ni tourelle, ni drapeau : pas de fioriture. Juste le strict nécessaire pour être en sécurité. Rien pour faire croire qu’il était plus que ce qu’il n’était, plus qu’un simple chevalier en armure. Ou autre chose qu’un chevalier en armure.

Au delà des murs, il y avait une douve, pleine d’eau tranquille et qui dort. De larges nénuphars y paressaient, amplement déployés, comme caressés par l’eau.

Le chevalier restait dans son château. Le pont-levis était toujours baissé. Parfois il ouvrait la porte et accueillait le visiteur dans l’antichambre, le temps d’un bref entretien. Puis il le raccompagnait sur le seuil, courtois comme il se doit. Son armure ne crissait jamais et quand il faisait demi-tour, le couloir sombre l’avalait.

Un jour, une princesse arriva dans l’antichambre. Cela lui plut et elle y retourna. Elle se sentait bien auprès de cette armure épaisse, de ces murs droits, de cette austérité dépourvue d’apprêts.

Elle se demandait bien pourquoi elle passait par là. Il y avait une sorte de correspondance…

Un soir, elle rêva qu’elle était perdue dans la forêt avec le chevalier en armure. La nuit venait et il la prenait dans ses bras pour dormir. Son armure était douce et il était un homme.

Le chevalier rajouta une pierre à son château et condamna une porte. Puis il ouvrit une fenêtre, tout en haut, bien hors de portée.

Le temps passa et le chevalier s’était tellement emmuré qu’il ne trouvait plus la porte.

La princesse était trempée comme une souche d’avoir voulu jouer les nénuphars. Elle n’allait plus dans l’antichambre. Elle passait désormais sur la rive, de temps à autre, et franchissait le pont-levis, pour voir si le chevalier était dehors ou, simplement, le nez à la fenêtre.

Cela n’arrivait jamais. Ou si parfois. Mais alors elle était tellement surprise que, le temps d’en prendre conscience, il avait refermé la fenêtre et construit un autre mur.

Elle se disait : « est-ce que j’ai l’air d’un dragon ? »

Le temps passait, les murs grandissaient.

La princesse ne franchissait même plus le pont-levis. Elle ne voulait plus voir les murs grandir. Elle ne voulait plus être mouillée. Elle se contentait de passer, de loin en loin, sur la rive. Le soleil et le vent avaient séché sa robe.

Un jour qu’elle passait là, elle vit, devant le pont-levis, un homme debout et qui la regardait.

Il y avait cette sorte de correspondance…

Elle lui tendit la main.

Il la prit.

Ils marchèrent et s’assirent sur le bord du chemin.

Elle apprit quel homme il était. Il apprit quelle femme elle était.

L’air était doux, il n’avait pas d’armure et c’était un homme.

samedi 4 mars 2006

Bois-moi

La nuit.
Elle ne dort pas.
La lune passe par la fenêtre. Son éclat est insolent. Attirant. Juste un croissant à la croisée des carreaux.
La maison craque. Le silence fait briller la lune.

Elle se lève.
Par la fenêtre, la silhouette noire des arbres : tout est immobile, figé.
La lune bat comme un cœur, mi ombre, mi lumière.
Elle regarde.
La maison, autour d’elle, est froide, sombre.
Passe un chat sur le toit. Il saute et glisse, silencieux dans l’herbe argentée. Tout scintille autour de lui. Il disparaît bientôt dans la forêt. La lumière est dehors.

Elle descend les escaliers et ouvre la porte.
De là-haut elle n’avait pas vu ça. La vie dans la nuit. L’âme des choses.
Il y a une odeur. Une odeur nouvelle, fraîche, inconnue.

Elle franchit le seuil. Elle est dehors. Elle n’a pas froid, elle n’a pas peur. Sous elle, devant elle, en elle, le paysage vit. Rien ne bouge mais tout est animé.

Elle avance jusqu’à l’herbe. Tout est mouillé. Sur chaque brin une perle de vie. Sur chaque herbe une goutte de lumière. Elle s’agenouille et laisse venir l’herbe entre ses doigts.
Sa bouche s’entrouvre.
- c’est magique.
- Je suis magique.
- Qui es-tu ?
- Je suis l’essence de vie de chaque chose. Je viens à la surface dans l’ombre, l’espace d’un instant. Puis je retourne aux profondeurs.
- Tu m’as appelée ?
- Oui. Tu as besoin de moi.
- J’ai envie de te boire.
- Bois-moi.
Elle se pencha et ses lèvres effleurèrent l’herbe. Tout son visage était mouillé. Elle avait l’impression d’être un arbre, d’être une plante. La vie baignait son visage.
- Bois-moi encore.
- Comment ?
- Déshabille-toi.
Sous la lune elle se dévêtit. Chaque geste avait la sagesse d’un rituel. Chaque vêtement ôté devenait offrande à la nuit.
Elle s’allongea dans l’herbe. Chaque cellule de son corps était une étoile de l’univers.

Le matin la trouva ainsi endormie dans la vie.