samedi 4 mars 2006

Bois-moi

La nuit.
Elle ne dort pas.
La lune passe par la fenêtre. Son éclat est insolent. Attirant. Juste un croissant à la croisée des carreaux.
La maison craque. Le silence fait briller la lune.

Elle se lève.
Par la fenêtre, la silhouette noire des arbres : tout est immobile, figé.
La lune bat comme un cœur, mi ombre, mi lumière.
Elle regarde.
La maison, autour d’elle, est froide, sombre.
Passe un chat sur le toit. Il saute et glisse, silencieux dans l’herbe argentée. Tout scintille autour de lui. Il disparaît bientôt dans la forêt. La lumière est dehors.

Elle descend les escaliers et ouvre la porte.
De là-haut elle n’avait pas vu ça. La vie dans la nuit. L’âme des choses.
Il y a une odeur. Une odeur nouvelle, fraîche, inconnue.

Elle franchit le seuil. Elle est dehors. Elle n’a pas froid, elle n’a pas peur. Sous elle, devant elle, en elle, le paysage vit. Rien ne bouge mais tout est animé.

Elle avance jusqu’à l’herbe. Tout est mouillé. Sur chaque brin une perle de vie. Sur chaque herbe une goutte de lumière. Elle s’agenouille et laisse venir l’herbe entre ses doigts.
Sa bouche s’entrouvre.
- c’est magique.
- Je suis magique.
- Qui es-tu ?
- Je suis l’essence de vie de chaque chose. Je viens à la surface dans l’ombre, l’espace d’un instant. Puis je retourne aux profondeurs.
- Tu m’as appelée ?
- Oui. Tu as besoin de moi.
- J’ai envie de te boire.
- Bois-moi.
Elle se pencha et ses lèvres effleurèrent l’herbe. Tout son visage était mouillé. Elle avait l’impression d’être un arbre, d’être une plante. La vie baignait son visage.
- Bois-moi encore.
- Comment ?
- Déshabille-toi.
Sous la lune elle se dévêtit. Chaque geste avait la sagesse d’un rituel. Chaque vêtement ôté devenait offrande à la nuit.
Elle s’allongea dans l’herbe. Chaque cellule de son corps était une étoile de l’univers.

Le matin la trouva ainsi endormie dans la vie.